• Zoulikha SAOUDI

    l’inculture est un métier qui s’exerce dans notre pays dans différentes sphères avec abnégation, rigueur et indifférence des pouvoirs publics. L’oubli en est l’une de ses armes les plus redoutables. L’écrivaine Zoulikha Saoudi, qui n’est aujourd’hui qu’un label des rencontres littéraires vides de toutes substances, ou une marque familiale déposée, a fait les frais de cette inculture.

    Son oubli, pis encore son bannissement ne sont que les crimes parfaits de l’inculture dominante, non seulement contre la culture, mais aussi contre l’histoire littéraire qui ne demande qu’à être relue et réajustée. Certes, Zoulikha n’est pas un cas isolé, elle est l’exception qui confirme amplement la règle. Qui est cette femme qui a brillé durant les années 1960 avant de succomber en décembre 1972 à l’hôpital Mustapha Pacha lors d’un accouchement difficile ? Elle n’avait que 32 ans, pourtant très en avance par rapport au discours triomphaliste de l’époque. Elle écrivit clairement et sans équivoque, dans El Ahrar (n°22, du lundi 28 janvier 1963), à propos du problème des langues : « Notre littérature écrite en langue étrangère attend de grands efforts des hommes de lettres bilingues. C’est à eux qu’incombe la responsabilité de rendre visible cette production littéraire en la traduisant dans la langue arabe... Notre réalité complexe impose à nos lettrés, toutes langues confondues, d’unir les efforts afin de créer une force capable de conduire la caravane, malgré les difficultés, à sa destinée finale. » Zoulikha Saoudi est loin d’être une illustre inconnue. Publiée même partiellement, elle a su gagner la sympathie des lecteurs qui ont découvert en elle une voix très chaude et spontanée. D’ailleurs, il faut rendre hommage à l’effort personnel du chercheur Ahmed Cheribet, toujours cloisonné à son lit d’hôpital à Annaba, vivant sous la grâce des machines sans que les pouvoirs publics bougent le petit doigt, qui a publié une partie de l’œuvre de Zoulikha. Dans une lettre manuscrite adressée au poète Sayehi El Kabir, en 1960, elle se présente ainsi : « Je suis née exactement en 1944, j’ai fait d’abord mes premières études à la petite école coranique dans la mosquée de Sidi Lazhar, de Khenchela... A l’âge de neuf ans, j’ai rejoint l’école de Khenchela. J’avais comme premier professeur Belkacem Djebaili et le professeur et homme de lettres, Mahboub Boutaleb ; c’est lui qui m’a poussée vers la lecture et la littérature. A la fin de ma quatrième année, j’ai eu mon CEP. Et à 13 ans, j’étais déjà cloisonnée dans la maison familiale. Je ne l’ai plus quittée, ma seule raison de vie, c’était la lecture et le désir de savoir... En 1957, j’ai rassemblé, dans un petit cahier, quelques vers en prose et des nouvelles sous le titre Révélation des douleurs. Après trois ans, c’est-à-dire en 1960, j’ai gribouillé dans un deuxième cahier, sept autres nouvelles d’inspiration sociale et qui traitent de la situation difficile de la femme ; je lui ai attribué le titre Ebauches d’une prise de conscience. » Avec l’aide inconditionnelle de son frère Mohammed, dramaturge et artiste oscillant entre Khenchela, Alger et le Caire, Zoulikha est parvenue à s’imposer dans une société close et fermée et devenir du coup une enseignante libre de se déplacer et écrivaine, avant que son 1er mariage ne l’engouffre dans le silence. Durant ces années fastes, elle s’est vite imposée comme écrivaine incontournable et femme sans concessions. Sa première nouvelle La victime, écrite en 1960 et diffusée à la radio avec l’aide de son premier homme vénéré, le poète Sayehi El Kabir, traite de la condition féminine avec courage et clarté. C’est par le biais de la radio qu’elle s’est fait connaître sous le pseudonyme d’Amal, avant de commencer à publier dans le journal El Ahrar qui était devenu son nouvel espace d’expression, sans oublier El Djazaïria et El Fadjr qui ont publié quelques-unes de ses nouvelles, toujours dispersées jusqu’à nos jours. La mise en valeur de ses écrits et leur publication changeront certainement quelques présupposés de notre histoire littéraire. D’ici quelques années, peut-être, on parlera de mère fondatrice du roman algérien de langue arabe plus que de pères ? Attendons la publication de son recueil Rêveries du printemps (Ahlam Er Rabie) et ses Correspondances, rassemblées minutieusement et pendant des années par Zaynab Laouedj, avec l’aide de Sayehi El Kabir, Mohammed Lazrak, morts depuis quelques années, et la famille de l’écrivaine. Dans sa longue nouvelle publiée dans le premier numéro de la revue Amal : Arjouna, il y a les prémices du roman qui vont prendre forme dans son premier vrai roman La Dissolution (Ad Dhawaban, publié partiellement dans El Ahrar n° 24, à partir du 11 février 1963). Un roman dans le sens le plus classique qui précède de presque dix ans les deux romans fondateurs : Le vent du sud et L’as. La Dissolution est un roman autobiographique ; l’histoire d’un homme qui s’exile au Caire pour satisfaire son désir théâtral et son ego artistique, et comment se fait sa première rencontre avec la ville mais aussi avec ses idoles de théâtre égyptien tels Youcef Wahbi et d’autres ? Les premiers ingrédients autobiographiques renvoient à son frère Mohammed qui se préparait à une carrière artistique fulgurante, mais la mort tragique de celui-ci a stoppé cette ascension (assassiné à Alger, juste après l’indépendance, dans des circonstances obscures). « La tête dans les nuages, il trébucha dans une rue cairote. Soudain, il vit le regard desséché des gens qui fixaient son mouvement maladroit... Combien de fois s’est-il senti traversé par cette solitude glaciale, en allongeant les rues de sa ville natale, encore enchaînée et accablée ? Il regarda ses mains libres, les chaînes étaient toujours là, enfouis profondément en lui. Une voiture passa en trombe et faillit l’écraser. Il n’entendit que la voix du conducteur : la prochaine fois, tâche de bien regarder devant toi. » Zoulikha, un grand gâchis pour la littérature arabophone qui a vraiment besoin de beaucoup de Zoulikha pour renverser la vapeur et bousculer les assurances de l’inculture.


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