Ali El Khencheli rend son dernier souffle à l’âge de 90 ans L’adieu au Rockrocky
Le chanteur chaoui Ali El Khencheli, de son vrai nom Mahmoud Djallal, est décédé jeudi à l’âge de 90 ans. On ne peut évoquer la disparition de ce brillant aède des Aurès sans avoir aussi une pieuse pensée à l’endroit de cheikh Aïssa Djermouni El Harkati (1886-1946) son mentor, ainsi qu’à cheikh Bouregaâ (1903-1990) ou encore à la diva du bédouin Beggar Hadda (1920-1996), décédée, elle, dans la rue, mendiante et à moitié folle. Malgré une certaine marginalisation (qui est du reste toujours d’actualité), cette « bande des quatre » aura marqué d’une manière ineffable le XXe siècle en Algérie. Et dans ce tumulte de l’histoire, Ali El Khencheli reste, en dépit des circonstances, un nom gravé en lettres d’or pour la pérennité de cet art de tradition orale, un patrimoine musical millénaire.
Pour l’anecdote, durant de longues années, cheikh Bouregaâ (qui n’a eu de cesse de chanter et même de « tourner » jusqu’à 86 ans) racontait souvent cette « nuit de M’daourouche », une fête mémorable, un mariage légendaire célébré dans les années 1930 par Aïssa Djermouni, Ali El Khencheli et lui-même. Cette performance marquera, paraît-il, les trois « troubadours » leur vie durant. D’après les connaisseurs, la spécialité d’Ali El Khencheli était ce qu’on appelle le « Rockrocky », un genre très festif entre le profane et le sacré. On attribue souvent à Ali El Khencheli un sens inné de la fête, une voix puissante et un amour infini pour l’art. Alliant sa passion pour la musique à celle qu’il voue également à son métier « artistique » de coiffeur (qu’il exerce de 1935 à 1965), Ali El Khencheli tâte durant sa longue existence toutes sortes d’expériences. Il ne cesse aussi de chanter. Bien que très âgé, sa voix est restée presque intacte. On l’a même vu s’initier un jour au malouf à côté de cheikh Mohamed-Tahar Fergani, et ce, dans un istikhbar qui ferait pâlir nombre d’interprètes de cette musique citadine qu’on dit pourtant très codifiée. C’est dire l’étendue de la gamme d’Ali El Khencheli, qui fera ses débuts dès les années 1930 aux côtés de l’inénarrable Aïssa Djarmouni, la véritable figure de proue de ce qu’il convient de considérer comme un véritable mouvement culturel. D’ailleurs, nombre de chercheurs ou musiciens célèbres (à l’instar de leur illustre prédécesseur, le compositeur hongrois Bela Bartok) s’intéressent aujourd’hui encore à cette musique qui dégage, dit-on, un souffle de liberté qu’on ne retrouve désormais que dans le seul et unique jazz. Dieu merci, un certain nombre d’uvres auront été gravées pour l’éternité. Le dernier enregistrement concernant Ali El Khencheli remonte à 1999, une excellente production de l’Institut du monde arabe. Quant à son tout premier enregistrement, il date de 1949. Il s’agit en fait de son fameux tube, le sulfureux Kharjat men el hammam tsouj. Il y en aura d’autres : Ma lebestek men lahrir, Lali abar wa yessir, Kijina men Aïn Mlila, Ayache a Memmi, Ajbouni ramgat ghzali, Hezzi Ayounek Et puis, il y a aussi l’hommage au « souffle » indissociable de cette musique qui tire sa substance du vent : H’wa wa dhrar (le vent des montagnes) ou Bahri jebba (le vent du Nord). Parmi les fidèles musiciens qui ont accompagné Ali El Khencheli durant toutes ces longues années figure incontestablement « El gassab » Larbi Rezaïguia, un flûtiste de talent qui l’accompagna de 1947 à 1967. Il y a aussi d’autres excellents interprètes comme Slimane ou encore Sahraoui. En rendant son dernier souffle, le patriarche Ali El Khencheli laisse 11 enfants et plus d’une centaine de petits-enfants. Espérons que la relève sera là !