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Cet ouvrage est une réédition des deux ouvrages de Gustave Mercier ayant été publiés sous les titres "Les cahouia de l’Aurès" (1986) et "Cinq textes berbères en dialecte chaouia" (1900).
Mena Lafkioui et Daniela Merolla, Contes berbères chaouis de l’Aurès (d’après Gustave Mercier), Rüdiger Köppe Verlag, Köln (Cologne), 2002.
Berber Studies, Volume 3.
163 pages. Prix : 24 €.
PrésentationPar cette réédition des vingt et un contes chaouis nous présentons un
échantillon – riche en matériaux originaux – d’une variété linguistique
et d’un patrimoine culturel berbères encore très mal documenté1. Les
aperçus sur la langue et sur la narration des textes, offrent donc une
analyse linguistique et littéraire introductive d’une région relativement
peu connue dans les études berbères2.Les contes chaouis présentés dans ce volume ont été collectés
par Gustave Mercier à la fin du XIXème siècle. Leur publication s’est
réalisée sous forme de deux articles, réedités ensuite sous forme de
deux petits livres : « Les Chaouia de l’Aurès » (1896) et « Cinq textes
berbères en dialecte chaouia » (1900). La transcription et la traduction
des textes berbères ont été mises à jour : le système de transcription a
été complètement revu et adapté aux usages linguistiques actuels ; les
incohérences sémantiques dans la traduction de G. Mercier ont été
rétablies tout en respectant autant que possible le sens de base
émanant du texte chaoui. Nous avons donc accordé une priorité au
caractère oral des textes et leur originalité géographique et historique,
ce qui pourrait impliquer une certaine distance par rapport à certaines
variétés du tachawit actuel. Toutefois, les informateurs chaouis3
auxquels nous avons fait appel ont témoigné d’une compréhension
quasi complète des textes.Nous n’avons pas reproduit l’introduction anthropologique et
l’étude grammaticale de G. Mercier, étant l’une très marquée par les
conditions socio-historiques de l’époque et l’autre encore
rudimentaire. Dans l’avant-propos de « Cinq textes berbères en1 Pour une bibliographie générale du tachawit de l’Aurès, voir N. Boulhaïs (1998).
2 En dehors de l’ouvrage « Etude syntaxique d’un parler berbère (Ait Frah de
l’Aurès) » de T. G. Penchoen (1973), dont les analyses se fondent sur le corpus de
textes de A. Basset (1961), « Textes berbères de l’Aurès (Parler des Ayt Frah) », le
tachawit n’a pas encore fait l’objet d’une étude scientifique systématique et
approfondie.
3 Nous remercions nos informateurs, et en particulier Mme Zohra Zaouia originaire
de Aïn Touta (Batna) et ayant résidé à Aïn El Beïda, pour les éclaircissements qu’ils
ont apportés à nos textes.
dialecte chaouia » (1900) on retrouve plusieurs éléments du discours
colonial : le mépris des Arabes envers les Berbères, la présence
romaine, la farouche résistance berbère à toute invasion, l’origine
« nordique » des Berbères, la primitivité de la langue berbère
(tachawit) par rapport à l’arabe qu’on qualifie de plus cultivée et de
plus belle. G. Mercier mène ensuite le discours de la mise en valeur
des montagnes de l’Aurès par la colonisation française ; l’annihilation
de la culture d’origine est donc pour lui le seul « destin » de ces
populations dominées :« Un jour viendra où le minerai qui affleure sur les roches nues […]
attirera toute une armée d’ouvriers et de chercheurs. Ce jour-là […]
les antiques guelâas s’effriteront au contact de nos usines. Comme la
société berbère s’évanouira au contact de nos ouvriers avec ses
traditions, sa langue et ses moeurs d’un autre âge. » (1900 : 7-8).On y retrouve également un certain exotisme orientaliste des écrits des
militaires français sur l’Algérie et la fascination pour une terra
incognita en voie de découverte :« Il faut pénétrer au coeur de la montagne, pour trouver des fractions
où seuls, quelques rares tolba, commerçants et voyageurs parlent
l’arabe ; et jusqu’à ces toutes dernières années, aucune route n’ouvrait
à l’étranger l’accès du massif inviolé. On peut maintenant se rendre en
voiture de Batna jusqu’à l’hôpital d’Arris, au centre du pays des
Touaba. » (1900 : 7).L’oeuvre de G. Mercier illustre en fait le passage entre les
descriptions des populations algériennes par les militaires et les études
universitaires de linguistique, de géographie, d’archéologie et
d’ethnographie. Son itinéraire professionnel est un bon exemple de
l’interconnexion des intérêts scientifiques et politico-administratifs
coloniaux dans la constitution, entre la moitié du XIX siècle et les
premières décennies du XX siècle, de puissantes familles franco-
algériennes.
Gustave Mercier (1874-1953) naquit à Constantine dans une
famille établie en Algérie dès 18544. Il était le fils de Ernest Mercier,
arabisant, historien, et auteur de Histoire de l’Afrique septentrionale,4 Les notices biographiques sont tirées de G. Marçais (1953) et de G. Souville
(1986).
Aperçu linguistique sur les contes chaouisPar Mena LAFKIOUI
1. Particularités phonétiques et phonologiques
I. Tout comme les autres variétés zénètes, le tachawit a comme
caractéristique phonologique déterminante le principe du moindre
effort. Il est concrétisé par le biais de divers procédés dont :
a. La suppression soit de la voyelle initiale5 (1), soit de la
consonne finale (2).
(1) /fus/ au lieu de /afus/ (‘main’)
/oefuˆkoe/ au lieu de /oeafuˆkoe/ (‘soleil’)
Le fait que la voyelle /a/ soit effacée dans un grand nombre de noms
masculins a conduit G. Mercier (1896 : 5) à la considérer comme une
voyelle prosthétique ne pouvant déterminer le genre.(2) /Þar-a/ au lieu de /Þar-ay/ (‘entre moi’)
/issioe-na/ au lieu de /issioe-naà/ (‘filles de/à nous = nos filles’)
L’effacement de la consonne finale touche toujours aux affixes
prépositionnels, et plus précisément à ceux de la première personne
portant le vocable /-y/ ou /-à/. La seule exception attestée dans lestextes est /ur n-it²errim ca/ (‘il ne saurait nous suffire’) où le /-à/ de
l’affixe indirect /neà-/ a disparu.b. Un deuxième phénomène témoignant clairement d’une
économie phonétique en tachawit est la spirantisation. Elle peut être
envisagée sur le plan de la synchronie au sens strict (spirantisation
5 Ou la première voyelle qui suit l’indice du féminin.
Aperçu sur la narration des contesPar Daniela MEROLLA
Les contes chaouis reproduits ici dans une transcription nouvelle et
une traduction ajournée ont été collectés et publiés par Gustave
Mercier dans Cinq textes berbères en dialecte chaouia (Paris,
Imprimerie Nationale, 1900) et dans Les Chaouia de l’Aurès, (Paris,
Leroux, 1896). Ils constituent un corpus important de textes narratifs
en tachawit, un dialecte berbère qui n’est que très partiellement étudié
et dont on a très peu de collections de textes6.Cinq textes berbères en dialecte chaouia présente de très beaux
contes étiologiques et merveilleux narrés par des conteurs
expérimentés. Les seize récits réunis dans Les Chaouia de l’Aurès
offrent un ensemble moins organique. On y retrouve néanmoins des
contes bien narrés comme Haqñišt m Beckerker šd làul (Histoire deBeckerker et l’ogre) et Haqñišt n ssul‚an ˆd harwan-nnes (Histoire du
sultan et de ses enfants). Si la différence entre les deux collections est
liée à la situation de collecte et de transcription des textes, il importe
aussi de signaler que les contes publiés en 1896 étaient
essentiellement des matériaux d’appui à l’étude linguistique, ce qui
explique la présence de traductions d’autres dialectes et d’un conte
dont la structure narrative est faible7.6 Voir quelques contes dans R. Basset (1890 et 1896), E. Masqueray (1877, 1885),
H. Stumme (1928) et les textes ethnographiques dans A. Basset (1961). Plus
récemment A. Djarallah a publié quelques contes dans Awal (1985 et 1987) et dans
Etudes et Documents Berbères (1988 et 1993). Une bibliographie générale sur les
Chaouia de l’Aurès a été publiée par N. Boulhaïs (1998).
7 Les neuf premiers récits sont très courts et de type anecdotique ou comique. Selon
Mercier, trois de ces récits sont des traductions de textes berbères publiés
auparavant : les nos. VI et VII par Basset (1890 : 170), et le no. V par Hanoteau
(1858 : 258). Le texte no. VIII est la traduction d’un conte de La Fontaine. Le texte
no. IV vient de ben Sedira (1887 : 91), tandis que le no. IX est une ‘imitation’
(version ou traduction) d’un autre conte donné par Hanoteau (1858 : 262). Le
dernier conte, no. XVI, est le moins organique et structuré de la collection dans son
ensemble.
2.
2.2. Haqñiˆt n
Haqñiˆt nHaqñiˆt n làul ˆd
làul ˆdlàul ˆd ˆtaqiyarˆt
ˆtaqiyarˆtˆtaqiyarˆt
Ruíen-ˆd iñayaˆden s ileàman-nsen, xel™en àer oemuroe n ññyadeoe.
Ileàman llfen-asen reoe²en, nehni tñayaˆden al lmaàreb u aˆd rewíen àer
umˆkan-nsen. Ass-ˆdin8 iggur-ˆd way, yufa lÞerreoe làul ˆdi-s oelaoea n
leqˆdam, i™efr-it. Yeggur, yuf-ioe ani g ibze™, lwehr n oeirecoe. Ikker
imme™ran-ˆˆˆd, irewí-ˆˆˆd àer iñ²ifen-nnes, inna-asen :– Ne© ufià-ˆˆd lÞerreoe làul. Ayaw a t-nelíaq.
Nnan-as :
– La, ne©ni u h-nlaíaq ca, a way u as-nzemmer.
Inna-asen :
– Uceoe fell-a9 rba²‚ac m ussan. Ma rewíeà-ˆˆd, aoea i ˆdin ; ur
ˆd-rewíeà ca, awioe alàem-inu s ññyaˆdeoe.
A ˆde©a i ˆdin yuyir, i™efr-as lÞerreoe i làul-ˆdin. Yuyir rbe² m
ussan, netta iggur annaˆk10 yufa ifri, yaˆdf-ioe. Yufa oeaqiyaroe ˆdi-s,
henna-as :– Mata a c-ˆd-yuwin, a c-ye© làul-aya.
Inna-as :
– Cem mammeˆk lqeññeoe-nnem, mammeˆˆˆˆˆk a cem-ˆd-yuwin ?
Henna-as :
– Ass-a oelaoea m ussan seg ay-ˆd-yuwi, ne© oeaslioe n mmi-s ²emmi,
iˆd-ˆdin yuwy-ay-ˆd làul. A ne© qqimeà ˆdig ifri, ittawy-ay-ˆd lmakeloe,
qqimeà u ay-inài.
Inna-as:– Manis aˆd ittaˆdef ˆdir aˆd ˆd-ireweí ?
8 Forme désassimilée de [azdin].
9 Allomorphe de /-ay/.
10 Marqueur narratif.
Histoire de l’ogre et de la belle femme
Des chasseurs partirent avec leurs chameaux. Arrivés au pays de la
chasse, ils lâchèrent leurs chameaux pour les laisser paître ; eux-
mêmes chassaient jusqu’au coucher du soleil, et revenaient ensuite à
leur campement. Un jour, l’un d’eux était en marche, lorsqu’il aperçut
les traces d’un ogre, grandes chacune de trois pas, et il se mit à les
suivre. Il alla, et trouva l’endroit où il avait déposé sa fiente, grande
comme un tas d’ogre. Il s’en retourna et revint auprès de ses
compagnons.– J’ai trouvé la trace d’un ogre, leur dit-il ; venez, allons le
rejoindre.
– Non, répondirent-ils, nous n’irons pas le rejoindre, car nous
ne sommes pas plus forts que lui.
– Accordez-moi quatorze jours, dit le chasseur ; si je reviens,
vous le verrez, sinon, emmenez mon chameau avec la viande de la
chasse.
Le lendemain il partit, et se mit à suivre les traces de l’ogre. Il
marchait depuis quatre jours, lorsqu’il découvrit une caverne dans
laquelle il entra. Dedans se trouvait une belle femme qui lui dit :– Qui t’amène ici, où tu vas être mangé par cet ogre ?
– Mais toi, répondit le chasseur, quelle est ton histoire, et
comment l’ogre t’a-t-il apportée ici ?
– Il y a aujourd’hui trois jours, répondit-elle, qu’il m’a enlevée ;
j’étais la fiancée du fils de mon oncle, c’est alors que l’ogre m’a ravie.
Je suis restée dans la caverne, il m’apporte de la nourriture, je reste là
et il ne me tue pas.
– Par où a-t-il l’habitude d’entrer, dit le chasseur, lorsqu’il
revient ici ?
Henna-as :– Wa ˆd abriˆd-nnes.
Yuˆdef ammas n ifri, i²emmer lmaqrun-nnes, iqqim-as. IoewaÞa
lmaàreb annaˆk ixle™ làul. Irfeˆd zznaˆd, yuoe i-s, yuà-ioe Þar hi‚‚awin
annaˆk yersa. Iry-ˆd àar-s, yaf-ioe yuwi-ˆd sen n le²baˆd a hen-issum a
hen-ye©. Yensa netta ˆd oeme‚‚uoe-ˆdin ˆdeg ifri. A ˆde©a i ˆdin, ™ellen
ssrayen ˆdug uzref itefferen, refˆden am i zemren, uyiren. Ass-ˆdin wis
rba²‚ac, xel™en àer umˆkan n iñ²ifen-nsen, yufi-hen trajan. Inna-asen :– Lbe²oe-as aˆksum n ññyaˆdeoe11, ayaw a nruíeoe àer ifri.
Xel™en bˆdun reffˆden ˆˆdi sslaí ˆd lqecc, ²ebban ˆdi ileàman-nsen, usin-ˆd
aˆd rewíen haqli²oe-nsen12.
Nehni xel™en-ˆd ammas m ubriˆd, kksen hame‚‚uoe i uryaz-ˆdin.
Nnan-as araía13, nnuàen ˆdug ubriˆd. Issiwel lbarud Þar-asen. Inàa
si-sen reb²a. Netta ˆd oeme‚‚uoe uyiren waíaˆd-sen, alˆd i xel™en
haqli²oe-nsen, herclen.11 Variante syntagmatique de /Lbe²oe-as i aˆksum n ññyaˆdeoe.../.
12 Variante syntagmatique de /… aˆd rewíen àer haqli²oe-nsen/.
13 Expression narrative.
– Voilà son chemin, répondit-elle.
Il entra au milieu de la caverne, chargea son fusil et l’attendit.
Au coucher du soleil, l’ogre arriva. Le chasseur arma la batterie, tira,
atteignit l’ogre entre les deux yeux au moment où il s’asseyait.
S’approchant de lui, il vit qu’il avait apporté deux hommes pour les
faire cuire et les manger. Il passa la nuit avec cette femme dans la
caverne. Le lendemain, ils employèrent la journée à extraire de
1’argent caché, emportèrent ce qu’ils purent et se mirent en route. Le
quatorzième jour, ils arrivèrent où ils avaient laissé leurs compagnons,
et les trouvèrent qui attendaient.– Laissez la viande de la chasse, leur dit-il, et venez, retournons
à la caverne.
Une fois arrivés, ils se mirent à enlever des armes, des vêtements,
chargèrent le tout sur leurs chameaux et partirent pour rentrer à leur
village.
Arrivés au milieu du chemin, les compagnons voulurent enlever
cette femme au chasseur. Une dispute s’engagea, ils se battirent sur la
route. La poudre parla entre eux. Notre homme en tua quatre, et
continua sa route seul avec la femme, jusqu’à ce qu’ils arrivassent à
leur village, où ils se marièrent.
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Rien a changé depuis notre dernière visite dans ce centre de laissés pour compte. Nourriture, vêtements, médicaments de 1er soins ont été remis par l'association A.K.T
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